Derrière les contestations locales contre les implantations d’éoliennes, s’active un important réseau soutenu par les plus hautes sphères de l’état. Et qui ne cache plus son but : imposer une relance la plus massive possible du nucléaire.
Barbara Pompili, ex-ministre de la Transition Écologique, reconnaît que le front des anti renouvelables pèse lourd : « Les lobbyistes du nucléaire sont très présents auprès des parlementaires. Bien sûr, il y a aussi du lobbying pro renouvelables, mais, en termes d’influence sur le sommet de l’État, ça n’a rien à voir, ils ne jouent pas dans la même catégorie. »
Une armée d’anti-éoliens pour relancer le nucléaire
Parmi ces lobbyistes pronucléaires figure la Fédération Environnement Durable (FED) la principale organisation anti éoliennes présidé par Jean-Louis Butré. On y trouve aussi l’association de défense du patrimoine nucléaire et du climat (PNC) et son fondateur Bernard Accoyer (Les Républicains, LR), ancien président de l’Assemblée nationale, soutenu au sein de cette association par Gérard Longuet (ancien ministre et sénateur (LR) de la Meuse, Louis Gallois (ancien président de la SNCF), les anciens ministres Jean-Pierre Chevènement et Arnaud Montebourg…
On y trouve aussi, entre autres autres pourfendeurs de l’éolien et défenseurs acharnés de l’atome, le Cercle de l’Union interalliée présidé par Denis de Kergorlay et le Cercle d’Étude Réalités Écologiques et Mix Énergétique (Cérémé) de Xavier Moreno fondateur de l’entreprise internationale d’investissement Astorg Partners qui a fait sa fortune.
Non des moindres, Fabien Bouglé, conseiller municipal (divers droite) de Versailles, est l’auteur à la fois d’un livre à charge contre les éoliennes (Éoliennes – La face noire de la transition énergétique) et aussi d’un livre vantant les mérites de l’atome (Nucléaire. Les vérités cachées).
Sans oublier le fou du roi Stéphane Bern qui ne rate pas une occasion de s’enflammer contre l’éolien: « l’énergie éolienne n’est en rien écologique et renouvelable. Elle pollue gravement la nature et détruit le patrimoine naturel et bâti de la France. » Ignorant sans doute le mot de Talleyrand, « ce qui est excessif est insignifiant », le célèbre défenseur du patrimoine s’en prenait régulièrement à la ministre Barbara Pompili « coupable de destruction d’un patrimoine naturel, d’atteintes à la biodiversité, d’artificialisation des sols et de soutien aux énergies fossiles ».
Sans oublier non plus le médiatique Jean-Marc Jancovici, qu’aucun mensonge ou approximation n’arrête pour faire avaler aux français son indigeste lot de couleuvres anti renouvelables et pronucléaires. Lire notre article à son sujet : Jancovici : le cancer et la ruine.
Le président de la république a débuté son premier mandat en mettant en œuvre la fermeture de la centrale de Fessenheim, décidée par François Hollande, et en prévoyant de doubler les capacités de l’éolien terrestre d’ici à 2030. Cinq ans plus tard, il reporte cet objectif à 2050 et relance la filière nucléaire.
Pourquoi un tel revirement ? Est-ce l’opposition aux projets éoliens ou est-ce du à la pression grandissante au sein de l’état des « forces » pronucléaires au fur et à mesure que se présentent les échéances énergétiques et l’urgente nécessité de prendre des décisions ? Comme l’a écrit Corinne LEPAGE : « En France, le lobby nucléaire, c’est l’État ! ». Ce n’est peut-être pas le gouvernement, les ministres, ni le Président de la République qui ont le dernier mot, mais les hauts fonctionnaires et grands patrons qui ont le cerveau « formaté » par leur passage à l’École des mines…
Dans l’un ou l’autre cas, ces organisations anti éoliennes ont compris l’opportunité qu’il y avait à devenir pronucléaires : profiter à la fois du soutien d’une partie de la population gagnée à la cause anti éolienne et le soutien d’un état prêt à tout (et n’importe quoi) pour relancer un nucléaire d’autant plus dangereux qu’il est en grande difficulté.
Des kits juridique anti-éoliens clé en main
La FED (Fédération Environnement Durable) que Jean-Louis Butré a fondée en 2009, revendique quelques mille sept cents adhérents, de la petite association de trois membres à des groupes de plusieurs centaines de personnes. Selon Jean-Louis Butré « A chaque fois que des gens découvrent tout à coup l’existence d’un projet éolien, ils se mettent à chercher de l’aide. Alors on leur donne des conseils. » La FED fournit ainsi des kits complets pour créer une association et financer les actions en justice… En s’appuyant sur un réseau de vingt-sept avocats, elle a mis en place un processus de systématisation des recours. Cette stratégie s’avère payante : près de 80 % des projets sont contestés. Il suffit donc de quelques personnes pour lancer une action en justice et bloquer des projets de construction d’éoliennes…
Au-delà de ces nombreux recours, qui freinent fortement le développement de la filière, France Énergie Éolienne affirme avoir vu un impact très net des hésitations de l’exécutif sur ce sujet. Selon Michel Gioria, délégué Général chez France Énergie Éolienne, « Quand le président a dit qu’il n’y avait pas de consensus sur l’éolien, sur le terrain les préfets se sont mis à ne plus délivrer les autorisations. On avait des acteurs dont le projet était bouclé, qui avaient reçu l’autorisation environnementale et l’avis favorable des mairies, mais auxquels le préfet ne donnait pas de permis. »
Nouvel acteur de cette galaxie anti-éolienne, Xavier Moreno, Président et fondateur du Cérémé, affirme avoir gagné « plus d’argent qu’il n’en a besoin » et fait de la « philanthropie », en particulier dans l’énergie en finançant sur ses ressources personnelles, plus de la moitié du budget du Cérémé (1 million d’euros en 2021). Xavier Moreno se voit comme un « facilitateur ». D’abord par les ressources financières qu’il met à disposition des autres associations, « souvent tenues par des bénévoles sur un coin de table, avec très peu de moyens ». Le Cérémé finance aussi des études et de la documentation, des événements, des campagnes de communication, mais aussi la revue Books et des lobbyistes à Bruxelles. Parmi ses « petits camarades » et « connaissances » figurent, assure-t-il, le ministre de l’économie Bruno Le Maire, l’ex-PDG d’Engie Gérard Mestrallet, le commissaire européen Thierry Breton, le PDG d’EDF Jean-Bernard Lévy… Ses « notes » sont envoyées au Trésor, à Matignon, parfois jusqu’à l’Élysée. Lorsque Xavier Moreno reçoit Emmanuel Macron pour le premier dîner du cercle Charles Gide – qu’il préside –, réunissant l’élite protestante, le président lui lance avec un clin d’œil : « Faut qu’on parle d’énergie ! »
Avec l’apparition du Cérémé (créé en mai 2020), de l’association de défense du patrimoine nucléaire et du climat ou encore du collectif Énergie vérité, un groupe de réflexion lancé en 2019 par une cinquantaine de personnalités pour « démystifier certaines idées reçues » sur l’énergie, le lien entre les combats anti-éolien et pronucléaire est clairement affiché. « Les masques sont tombés », estime Michel Gioria, délégué général de France Énergie Éolienne. La galaxie anti-éoliennes ne compte pas en rester là et entendpeser sur l’élaboration de la prochaine feuille de route énergétique de la France, prévue en 2023.
Mais tout est-il joué ? Selon un sondage de Harris Interactive réalisé en janvier 2021, 76 % des Français ont une bonne image de l’éolien. Ce chiffre est identique chez les habitants des communes situées à moins de 5 km d’un parc éolien.
Toute cette activité visant à stopper le développement éolien a favorisé inéluctablement un recours accru aux combustibles fossiles et une forte augmentation des émissions de gaz à effet de serre comme on peut le constater en cet hiver 2022.
La stratégie du lobby nucléaire est simple :
- Nous convaincre qu’on ne peut pas se passer du nucléaire
- Nous convaincre qu’il n’y a pas d’alternatives crédibles, qu’il est donc inutile de développer les énergies renouvelables.
- Nous convaincre qu’on peut très bien vivre en zone contaminée.
Le lobby nucléaire empêche l’opinion publique de découvrir les graves et bien réelles conséquences des catastrophes de Tchernobyl et de Fukushima pour mieux nous préparer à l’inévitable prochaine catastrophe. C’est une gigantesque manipulation : si une catastrophe nucléaire se produit en France, le discours ne sera pas : « Nous avons eu tort, le nucléaire est vraiment trop dangereux, il faut programmer l’arrêt immédiat de cette industrie». Ce sera : « Bien sûr, cet évènement est regrettable, mais la situation n’est pas si grave. Grâce aux études que nous avons menées à Tchernobyl et à Fukushima, nous vous assurons que vous allez pouvoir continuer à vivre tout à fait normalement. »
Non, nos petits n’iront pas à la maternelle avec un dosimètre autour du cou !
Non, sur l’étalage, nous ne choisirons pas les légumes avec un compteur Geiger !