Rédaction : Bruno Chareyron, ingénieur en physique nucléaire, directeur du laboratoire de la CRIIRADCommission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la radioactivité
29 cours Manuel de Falla / 26000 Valence / France
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Note CRIIRAD N°20-35
CNPE de Golfech / Impact des rejets radioactifs dans la Garonne
Radioactivité des Végétaux aquatiques
Étude réalisée à la demande de la coordination Stop Golfech dont FNE 82, ATMP, VSDNG, Réseau Citoyen de Surveillance de la Radioactivité de Golfech, Sepanlog, Horizon Vert.
1 / Contexte
La centrale nucléaire de GOLFECH est autorisée à rejeter des éléments radioactifs dans l’atmosphère et dans la Garonne.
Afin d’effectuer un contrôle de l’impact des rejets radioactifs liquides du CNPE de Golfech, et avec le soutien scientifique du laboratoire de la CRIIRAD, l’association VSDNG avait mené en 2009 une campagne d’analyse de végétaux aquatiques prélevés dans la Garonne, en amont et en aval de la centrale nucléaire de Golfech.
Ces analyses (voir Annexe 1) avaient révélé qu’il y avait plus de 4 fois plus de tritium organiquement lié à Lamagistère, 870 mètres en aval des rejets de Golfech, qu’en amont (non détecté en amont). Quant au carbone 14, il y en avait presque 2 fois plus en aval.
Le tritium est de l’hydrogène radioactif et le carbone 14 du carbone radioactif. Ces deux substances radioactives constituent plus de 99,99 % de la radioactivité rejetée par le CNPE de Golfech dans la Garonne.
Afin de vérifier la situation 10 ans après, une nouvelle campagne de mesures a été mise en oeuvre.
La stratégie de prélèvement a été affinée lors d’échanges entre monsieur Marc Saint-Aroman (membre de l’Association les Amis de la Terre Midi Pyrénées) et monsieur Bruno Chareyron (laboratoire de la CRIIRAD). Les prélèvements de végétaux aquatiques ont été effectués le 3 octobre 2019 par monsieur Saint-Aroman.
A titre indicatif, des échantillons d’eau de la Garonne ont également été collectés au même endroit que les végétaux.
Les échantillons ont été reçus au laboratoire de la CRIIRAD le 5 octobre 2019.
Les eaux ont fait l’objet d’une recherche de tritium par scintillation liquide, au laboratoire de la CRIIRAD (voir Annexe 2).
Les végétaux ont fait l’objet d’un tri, d’un rinçage et d’un essorage et ont été soumis à deux types d’analyses :
- Des analyses par spectrométrie gamma sur matière fraîche. Elles ont été réalisées au laboratoire de la CRIIRAD, dans les meilleurs délais, afin d’être en capacité de détecter en particulier l’iode 131.
- Les échantillons ont ensuite subi une dessiccation à l’étuve et ont été adressés au laboratoire spécialisé RCD Lockinge (en Angleterre) pour réalisation d’analyses radiochimiques portant spécifiquement sur le carbone 14 et sur le tritium organiquement lié.
Ces deux substances, qui se désintègrent en émettant des rayonnements bêta, ne peuvent être détectées par spectrométrie gamma. La spectrométrie gamma est utile pour détecter par contre une vaste palette de substances radioactives potentiellement présentes dans les rejets liquides d’une centrale électronucléaire. Il s’agit par exemple de produits de fission (comme le césium 137 ou l’iode 131) et de produits d’activation (comme le cobalt 60 ou l’argent 110m).
Les résultats détaillés des analyses par spectrométrie gamma sont reproduits en annexes 3 et 4.
Illustration 1 : localisation des buses de rejet du CNPE de GOLFECH et de la station aval
(source : GoogleEarth)
Illustration 2 : gros plan sur les buses de rejet du CNPE de GOLFECH (source : GoogleEarth)
Illustration 3 : stations amont et aval du CNPE de GOLFECH (source : GoogleEarth)
2 / Résultats des analyses de végétaux aquatiques
Les principaux résultats sont repris dans le tableau 1 ci-dessous.
Tableau 1 : Principaux résultats d’analyses radiologiques des végétaux aquatiques
Iode 131
Les analyses par spectrométrie gamma ne font pas apparaître de contamination détectable par des
radionucléides artificiels (voir résultats détaillés en annexes concernant césium 137 et 134, argent 110m,
cobalts 58 et 60, etc..), à l’exception de l’iode 131 de période physique égale à 8 jours.
Ce radionucléide est détecté dans l’échantillon aval Golfech (0,61 ± 0,28 Bq/kg frais(1)). Son activité dans l’échantillon amont est inférieure à la limite de détection (< 2,1 Bq/kg frais), mais comme la valeur de cette dernière est relativement élevée, il n’est pas possible de conclure à une présence d’iode 131 supérieure, en aval de la centrale, par rapport à l’amont.
Les différentes études réalisées par le laboratoire de la CRIIRAD sur la radioactivité des végétaux aquatiques de la Garonne (Voir annexe 5), ont d’ailleurs montré que les termes sources principaux étaient liés à l’utilisation de l’iode 131 par les services de médecine nucléaire, en particulier dans l’agglomération toulousaine (située en amont de Golfech). L’activité en iode 131 détectée dans le secteur de Golfech en octobre 2019 (0,61 Bq/kg frais) est nettement inférieure à celle mesurée par la CRIIRAD, dans le même type de végétaux aquatiques prélevés en septembre 2018, à 400 m en aval de la station de traitement des eaux usées de l’agglomération Toulousaine (46 Bq/kg frais).
Tritium organiquement lié et carbone 14
Dans les végétaux aquatiques prélevés le 3 octobre 2019, à 1,35 km en aval des rejets de Golfech, on note par contre clairement l’impact de la centrale pour ce qui concerne le tritium et le carbone 14. :
- L’activité en tritium organiquement lié en aval (14,3 Bq/l d’eau de combustion(2)) est au moins 4 fois supérieure à celle de la station amont (dont l’activité est inférieure à la limite de détection : < 3,0 Bq/l d’eau de combustion).
- L’activité en carbone 14 en aval (666 Bq C14 /kg C) est plus de 3 fois supérieure à celle mesurée à la station amont (217 Bq C14 /kg C). Le rapport isotopique entre carbone 14 et carbone stable indique qu’il ne s’agit pas d’une situation naturelle. La valeur amont correspond par contre à un niveau classique « global » lié au carbone 14 d’origine naturelle et au reliquat de l’impact des essais nucléaires atmosphériques (particulièrement intenses dans les années 50-60). Cette composante globale a tendance à décroitre lentement au cours du temps (on mesurait par exemple à la station amont 221 Bq C14 / kg C en 2009).
3 / Discussion et conclusions
EDF déclare avoir rejeté dans la Garonne en 2019 : 62 500 milliards de becquerels de tritium et 36,5 milliards de becquerels de carbone 14, à comparer à moins de 0,15 milliards de becquerels pour les autres substances radioactives. Le tritium et le carbone 14 constituent donc plus de 99,99 % des rejets radioactifs liquides du CNPE de Golfech.
Les contrôles ponctuels effectués le 3 octobre 2019 sur les eaux de la Garonne en amont et en aval des rejets de la centrale nucléaire de Golfech n’ont pas révélé de contamination par le tritium (valeurs classiques inférieures à 2 Bq/l). Il faut souligner que, compte tenu du caractère discontinu des rejets dans le temps et de la complexité des mécanismes de diffusion-homogénéisation des rejets en fonction des conditions hydrographiques du moment, des prélèvements d’eau ponctuels sont peu représentatifs. C’est pourquoi la CRIIRAD recommande d’effectuer les contrôles ponctuels sur des milieux accumulateurs ou intégrateurs susceptibles de renseigner sur l’impact des rejets sur des périodes de plusieurs semaines, voire plusieurs mois.
L’analyse des végétaux aquatiques de la Garonne prélevés le 3 octobre 2019 confirme la contamination chronique et persistante du milieu naturel en aval de Golfech.
Pour le tritium organiquement lié, la contamination relevée en 2019 dans les végétaux aquatiques (14,3 Bq/l d’eau de combustion) est du même ordre de grandeur que celle mesurée en 2009 (14,8 Bq/l d’eau de combustion). Il s’agit de valeurs plus de 4 fois supérieures à celles obtenues en amont où le tritium organiquement lié n’est pas détecté (< 3,0 Bq/l d’eau de combustion). La période physique du tritium est de 12,3 ans.
Pour le carbone 14, on observe une augmentation de 60 % de la contamination en 2019 (666 Bq C14 /kg C par rapport à 2009 (415 Bq C14 /kg C). L’activité en carbone 14 en aval est plus de 3 fois supérieure à celle mesurée à la station amont (217 Bq C14 /kg C). La période physique du carbone 14 de 5 730 ans.
Le tritium est de l’hydrogène radioactif, le carbone 14 est un isotope radioactif du carbone. Comme toute la matière vivante est constituée d’atomes d’hydrogène et de carbone, une partie du tritium et du carbone 14 rejetés dans l’environnement se retrouvera in fine dans les cellules des organismes vivants y compris dans l’ADN, créant à la longue une irradiation interne qui augmente les risques de cancer (entre autres). Rejeter du tritium et du carbone 14, c’est augmenter les risques pour la faune, la flore et les êtres humains.
Dans le cas de Golfech, l’impact est d’autant plus préoccupant que les eaux potables de dizaines communes, dont celle d’Agen, sont puisées directement dans la Garonne en aval des rejets de Golfech.
Dans son dernier bulletin « BSG : Branché sur Golfech » de novembre 2020, EDF indique que la moyenne quotidienne la plus élevée du mois, pour l’apport de tritium dans l’eau de la Garonne (à cause des rejets) a été de 49,3 Bq/l. Une valeur inférieure à la limite moyenne quotidienne de 140 Bq/l fixée par l’Autorité de Sûreté Nucléaire.
Cette pollution autorisée des eaux de la Garonne par le tritium entraine inévitablement une pollution des eaux potables produites par pompage dans le fleuve. En effet, les dispositifs de traitement des eaux ne peuvent retenir le tritium. La CRIIRAD a effectué en 2019 une compilation des valeurs mesurées dans le cadre du contrôle sanitaire des eaux potables sur l’ensemble du territoire français pour la période 2016 à novembre 2019.
Pour le sud-ouest de la France, on relève une contamination des eaux potables par le tritium pour de nombreuses communes situées sur les rives droite et gauche de la Garonne, jusqu’à une cinquantaine de kilomètres en aval de Golfech : Agen, Astaffort, Aubiac, Boe, Bon Encontre, Brax, Bruch, Castelculier, Caudecoste, Colayrac Saint Cirq, Cuq, Estillac, Fals, Feugarolles, Foulayronnes, Lafox, Layrac, Le Passage, Moirax, Montesquieu, Pont du Casse, Roquefort, Saint-Nicolas de la Balerme, Saint-Sixte, Sainte Colombe en Bruilhois, Sauveterre Saint Denis, Thouars sur Garonne.
Plus en aval, du tritium est également détecté (en 2017) à Beaupuy, Lagupie, Marmande, Saint Martin Petit, Saint Pardoux du Breuil, Sainte Bazeille, soit jusqu’à une centaine de kilomètres en aval des rejets de Golfech.
Le secteur d’Agen constitue une zone nettement impactée.
Entre janvier 2019 et novembre 2019, par exemple, il y a eu 7 contrôles du niveau de tritium dans l’eau distribuée aux plus de 35 000 habitants de l’agglomération d’Agen. L’activité du tritium a été supérieure à la limite de détection (< 5,7 à < 6,2 Bq/l) à deux reprises avec des valeurs de 43,5 Bq/l, le 7 janvier et 55,9 Bq/l le 7 mars. Comme le montre le document page suivante, les résultats de 2019 sont nettement supérieurs à ceux de 2017 (maximum de 24,6 Bq/l) et 2018 (maximum de 33,5 Bq/l).
EDF et les autorités sanitaires banalisent cette situation en invoquant la limite sanitaire de 10 000 Bq/l (valeur guide de l’OMS : Organisation Mondiale de la Santé) et la valeur de référence de 100 Bq/l appliquée en France. Dans son dernier bulletin « BSG : Branché sur Golfech », EDF va même jusqu’à écrire : « Sachez que boire chaque jour 2 litres d’une eau contenant 100 Bq/l de tritium équivaut en dose radioactive à manger chaque mois une banane ».
La CRIIRAD a effectué une analyse critique(3) de ces normes et a conclu que, s’agissant d’une contamination chronique qui affecte de surcroit toute la population dont les groupes à risques (femmes enceintes, jeunes enfants), tout devrait être fait pour réduire les niveaux de contamination et que la norme devrait être fixée à une valeur inférieure à 30 Bq/l voire à 10 Bq/l. Sinon, les risques de cancer à long terme pourraient être supérieurs à ceux retenus pour les pollutions de nature chimique.
Illustration 4 : résultats du contrôle du tritium dans l’eau potable à Agen
Extrait de la carte compilée par la CRIIRAD à partir des mesures officielles
(en bleu : niveaux de tritium inférieurs aux limites de détection / en rouge : tritium détecté )
La CRIIRAD a d’ailleurs interpellé(4) Mme Buzyn (alors Ministre de la Santé), le 11 juillet 2019, pour demander une révision des normes concernant le tritium dans les eaux potables. L’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) a fait une première réponse en octobre 2019 annonçant une étude approfondie des questions soulevées. Puis, elle a adressé le 24 février 2020, une réponse sur le fond, basée sur un avis de l’IRSN indiquant que l’Institut n’envisage pas de modification des normes à court terme (même si l’IRSN est favorable au réexamen de certains points comme le Facteur d’Efficacité de Dose et de Débit de Dose).
La présence de tritium dans les eaux potables de communes situées en aval des rejets du CNPE de Golfech montre en outre la vulnérabilité des ressources en eau potable en cas d’incident ou d’accident grave à la centrale nucléaire.
Rédaction : Bruno Chareyron, ingénieur en physique nucléaire, directeur du laboratoire de la CRIIRAD
Relecture : Corinne Castanier, responsable du pôle radioprotection-règlementation et Marion Jeambrun, docteur en Géochimie.
Préparation des échantillons : Sara Ortuno, technicienne de laboratoire
Réalisation des analyses : Stéphane Patrigeon, technicien métrologue
Validation des analyses : Marion Jeambrun, docteur en Géochimie
Notes :
1 – Soit 9,4 Bq/kg sec.
2 – Le tritium organiquement lié (TOL) correspond à la fraction du tritium qui est associée à la matière organique (à l’issue de divers mécanismes de synthèse de la matière vivante), par opposition au tritium libre qui correspond par exemple au cas où l’atome de tritium est constitutif d’une molécule d’eau. Pour déterminer l’activité du tritium organiquement lié, les échantillons subissent une dessiccation à 110°C jusqu’à élimination complète de l’eau contenue. La matière fait ensuite l’objet d’une combustion dans de l’oxygène pur pour produire des molécules de CO2 et H2O. C’est l’eau issue de la combustion qui fait alors l’objet d’un comptage par scintillation liquide pour déterminer l’activité volumique du tritium exprimée en becquerels par litre d’eau de combustion. Il est également possible de ramener cette activité en becquerels par kilogramme de matière.
3 – Pour la discussion sur les «normes » concernant le tritium dans l’eau potable, voir les argumentaires CRIIRAD détaillés ici :
Pour un abaissement en dessous 10 Bq/l de la norme sanitaire : https://www.criirad.org/eau%20potable/2019-07-1_H3_10.000%20Bq_1.pdf
Pour un abaissement en dessous de 10 Bq/l et si possible de 2 Bq/l du niveau de référence (seuil d’investigation) dans les eaux potables https://www.criirad.org/eau%20potable/2019-07-15_H3_10.000%20Bq_2.pdf
4 – https://www.criirad.org/eau%20potable/2019-07-11_lettre-ouverte_H3-eau_1.pdf
ANNEXE 1
Résultats des analyses radiologiques de végétaux aquatiques amont-aval Golfech
Campagne 2009
A / Résultats des mesures de tritium organiquement lié (OBT) et carbone 14 dans les plantes aquatiques de la Garonne en amont et en aval de GOLFECH
Analyses effectuées par le laboratoire CRIIRAD et RCD Lockinge
Echantillons prélevés par M Marc St Aroman et André Crouzet
Plantes aquatiques Garonne / Prélèvements du 18 septembre 2009
Commentaire :
Dans les plantes aquatiques prelevées à 870 mètres en aval du rejet de Golfech on note une activité en tritium organiquement lié au moins 4 fois supérieure à la station amont (dont l’activité est inférieure à la limite de détection).
Dans les plantes aquatiques prelevées à 870 mètres en aval du rejet de Golfech, l’activité en carbone 14 est près de 2 fois supérieure à celle mesurée à la station amont et le rapport isotopique entre carbone 14 et carbone stable indique qu’il ne s’agit pas d’une situation naturelle.
Cette contamination des plantes aquatiques par le tritium et le carbone 14 était prévisible compte tenu des rejets de tritium et carbone 14 effectués par la centrale de Golfech.
L’absence de contamination mesurable dans les plantes collectées à 30 m en aval du rejet alors qu’une contamination est détectée à 860 m en aval est surprenante. Le rejet est peut être orienté par les courants de telle manière qu’il n’imprègne pas les plantes collectées à 30 m. Cette campagne illustre l’interêt de disposer de plusieurs stations pour apporter un diagnostic.
Pour mémoire, les résultats de dosage du tritium dans les eaux de la Garonne effectués par le laboratoire de la CRIIRAD et déjà transmis à VSDNG le 9 octobre 2009 étaient négatifs (activité du tritium était inférieure à la limite de détection).
La différence entre les résultats sur les eaux et sur les plantes aquatiques montre tout l’intérêt qu’il y a à procéder à des mesures sur des organismes bioaccumulateurs et pas seulement sur l’eau elle-même pour rendre compte de l’impact des rejets discontinus dans le temps.
B Chareyron le 23 dec 2009.
ANNEXE 2
Résultats des analyses de tritium dans l’eau de la Garonne (3 octobre 2019)
ANNEXE 3
Résultats des analyses de myriophylles en amont de Golfech
(spectrométrie gamma, 2019)
ANNEXE 4
Résultats des analyses de myriophylles en aval de Golfech
(spectrométrie gamma, 2019)
ANNEXE 5 / Présence chronique d’iode 131 dans la Garonne
Les analyses réalisées en 1991 par le laboratoire de la CRIIRAD sur des végétaux aquatiques prélevés dans la Garonne par les associations VSDNG (Vivre Sans le Danger Nucléaire de Golfech) et les Amis de la Terre, en amont et en aval de la centrale nucléaire de Golfech, ont permis de mettre en évidence une contamination par de l’iode 131, un radionucléide artificiel, émetteur bêta-gamma.
Ce produit de fission est créé au sein des réacteurs nucléaires. Ces derniers disposent d’autorisations de rejet pour les iodes radioactifs. Il est également utilisé en médecine nucléaire pour des activités de diagnostic et de thérapie. Les études réalisées à cette époque ont montré qu’il existait un terme source important au niveau de l’agglomération toulousaine.
Les différentes études réalisées par la CRIIRAD, tant au niveau de l’agglomération Toulousaine(5) qu’ailleurs en France (Bassin Seine Normandie, vallée du Rhône) ont montré qu’il existait, dans de nombreux cours d’eau, une contamination chronique par l’iode 131 et que la principale source était liée à son utilisation en médecine nucléaire. Il s’agit pour partie des rejets des services hospitaliers dans les collecteurs d’eaux usées et pour partie des rejets «diffus» par les patients de retour à leur domicile.
La CRIIRAD a pu rendre compte de cette situation lors du colloque « Les effluents liquides des établissements de Santé : Etat des lieux et perspectives de gestion » à Chambéry les 26 et 27 novembre 2008, sur le thème : « Les effluents radioactifs directs et diffus générés par les activités de médecine nucléaire et de Curiethérapie »
Voir la présentation : http://www.criirad.org/rayonnements/PP1-effluents-radioactifs.pdf
Voir l’article : http://www.criirad.org/rayonnements/A1-effluents-hospitaliers.pdf
ANNEXE 6 / Remarques sur la radiotoxicité du tritium
Sous-estimation de la radiotoxicité du tritium
Le tritium (3H) est l’isotope radioactif de masse 3 de l’hydrogène. Il possède donc les mêmes propriétés chimiques que ce dernier.
De période physique égale à 12,3 ans, il se désintègre pour former de l’hélium stable. Cette désintégration s’accompagne systématiquement de l’émission d’un rayonnement ionisant de type bêta moins (électron) dont l’énergie maximale est de 18,6 keV (kilo électronvolt) et d’énergie moyenne 5,6 KeV.
Le tritium étant un isotope de l’hydrogène, constituant de base de la molécule d’eau et de tous les êtres vivants, il diffuse très rapidement dans l’environnement où il est aisément assimilé par les organismes vivants. Les rejets de tritium entraînent ainsi une contamination étendue à de nombreux compartiments : air, eau, chaîne alimentaire, conduisant à une exposition très diversifiée des populations.
Les normes de radioprotection concernant le tritium dans l’eau potable appliquées en France ne prennent en compte que l’irradiation induite par l’ingestion d’eau tritiée. Dans ce cas, le tritium est assez rapidement(6) éliminé par l’organisme humain, et l’équivalent de dose engendré par l’absorption d’une quantité donnée de tritium est limité par le fait que le temps de séjour du radioélément dans le corps humain est bref et que l’énergie des rayonnements bêta qu’il émet est faible. C’est ainsi que les limites annuelles d’incorporation d’eau tritiée par le public sont très élevées, faisant apparaître le tritium comme l’un des radioéléments les moins radiotoxiques. Mais la réalité est beaucoup plus complexe.
Le problème des transmutations
L’évaluation des doses induites par le tritium ne tient compte que de l’énergie moyenne déposée dans les organes par les rayonnements bêta qu’il émet en se désintégrant. Mais ce modèle simpliste ne tient pas compte du problème des transmutations. Lorsque l’atome de tritium qui s’est substitué à un atome d’hydrogène stable se désintègre, outre les effets liés à l’émission des rayonnements bêta, il faut tenir compte de ceux liés au fait qu’il se transforme en un nouvel élément chimique, l’hélium. Cela entraine des cassures des liaisons hydrogène, des modifications de la structure de l’ADN et cela modifie complètement la structure chimique des molécules concernées, entrainant l’apparition de nouveaux composés mutagènes. D’autres points(7) conduisent à une sous-estimation des risques, comme la sous-estimation de l’efficacité biologique du rayonnement émis par le tritium.
Le problème du tritium organiquement lié
Une partie du tritium incorporé sous forme d’eau tritiée est assimilée sous forme organique. Il faut considérer en outre le cas où le tritium existe déjà sous forme organique dans le milieu. On parle alors de tritium organiquement lié. Des phénomènes liés à la photosynthèse dans le règne végétal et à d’autres mécanismes métaboliques dans le règne animal conduisent en effet à l’incorporation du tritium à certaines molécules organiques.
Le tritium sous forme organique a une période biologique plus longue qui peut aller de un mois à un an selon le type de liaisons chimiques. Lorsqu’il est intégré à certaines molécules organiques, telle la thymidine, le temps de séjour du tritium dans l’organisme humain est encore plus élevé (période biologique de 400 à 600 jours). Dans les végétaux, 80 % de la quantité de tritium liée à la matière organique est intégrée aux molécules de structure (lignine, cellulose), le tritium est alors fixé à demeure.
Ainsi, après ingestion d’une nourriture tritiée, l’activité fixée dans les tissus est plus importante qu’après ingestion d’eau tritiée. Divers mécanismes peuvent alors conduire, chez l’homme, au marquage en tritium de certaines macromolécules comme l’ADN. L’élimination du tritium étant alors très lente, les problèmes radiologiques posés sont beaucoup plus aigus. En effet, les rayonnements bêta du tritium peuvent réaliser sur le long terme (période de 12,3 ans), et au coeur même du matériel génétique des êtres vivants, des cassures et mutations des chromosomes induisant un risque de cancérisation et de mutations génétiques.
Ainsi, sous leur forme tritiée, la leucine (précurseur des protéines), l’uridine (précurseur de l’ARN) et la thymidine (précurseur de l’ADN) sont respectivement environ 10, 100, et 1 000 fois plus toxiques que l’eau tritiée. Selon certains auteurs, la toxicité du tritium incorporé à la thymidine pourrait être 10 000 fois supérieure à celle de l’eau tritiée. Sous forme d’arginine tritiée, autre acide aminé, la toxicité serait plus importante encore.
Le laboratoire de l’Université de Tokyo (Laboratory of Radiation Genetics and Chemical Mutagenesis) a mis en évidence l’effet du tritium sur l’induction de mutations sur une plante (Tradescantia) à de faibles doses de contamination. L’Institut National des Sciences Radiologiques du Japon a montré que les différents effets du tritium sur des cellules de mammifères (destruction, mutation ou induction de cancers) étaient plus importants qu’on ne le croyait.
En résumé, la radiotoxicité du tritium semble avoir été largement sous-évaluée et peu de travaux existent sur les effets à long terme, notamment génétiques, de la contamination par ce radioélément.
Notes :
5 – En 1995, la Compagnie Générale des Eaux, concessionnaire du système d’assainissement des eaux usées de Toulouse, a réalisé un bilan sur la présence d’iode 131 dans les égouts toulousains, conjointement avec l’Agence Régionale pour l’Environnement (ARPE). Le laboratoire de la CRIIRAD a participé à l’époque aux analyses des eaux par spectrométrie gamma.
6 – Le modèle biocinétique décrit dans la publication N°56 de la CIPR (année 1990), retient l’hypothèse selon laquelle 97 % de l’eau tritiée est en équilibre avec l’eau contenue dans l’organisme et est renouvelée avec une demi-vie de 10 jours, le reste, incorporé à des molécules organiques aurait une demi-vie de 40 jours.
7 – Voir le courrier adressé par la CRIIRAD au Ministre de la Santé demandant la révision des normes portant sur le tritium dans l’eau potable https://www.criirad.org/eau%20potable/2019-07-11_lettre-ouverte_H3-eau_1.pdf